Ma conversion; ou le libertin de qualité 2 стр.

Tout réussit à mon gré mais il faut que je les brouille allons, discorde, vole à ma voix On se pique, on se refroidit, les deux inséparables ne se voient plus; la présidente exige que j'embrasse son ressentiment; je me fais valoir, je deviens exigeant à mon tour. Que ne peut le désir de la vengeance! on se livre à moi pour faire pièce à sa bonne amie.

La présidente a trente-cinq ans, et n'en paraît pas plus de vingt-huit; elle est bien conservée, mais sans affectation. Ce serait une petite-maîtresse, si le jargon ne l'ennuyait pas. Elle a de l'esprit avec les femmes, de la gentillesse avec les hommes, beaucoup de retenue dans le public, un ton de femme de qualité et des dehors imposants.

Dans le particulier, je n'ai guère connu de tempérament plus vif, plus soutenu, et en même temps plus varié. Ses caresses sont séduisantes, parce qu'elles sont franches, et vingt fois j'ai été tenté de l'aimer. Au reste, elle n'est pas sans défaut: elle a une profonde vénération pour elle-même; ses décisions sont des oracles, ses préceptes, des lois; je n'ai rien vu de si impérieux. Il est vrai qu'elle y joint l'adresse et que souvent vous croyez faire votre volonté en ne suivant que la sienne.

Sa société, qui nous devine, ne tarde pas à me fêter, je suis le saint du jour; elle a de la confiance en moi: rien n'est bien si je ne l'ai conseillé. Nous passons ainsi six mortelles semaines. J'oubliais qu'elle veut être la confidente de mes affaires. Un jour, j'arrive chez elle; mon oeil est agité. "Mais, qu'as-tu donc, mon ami? tu es bien sombre. Quoi! dis-je (en m'efforçant de sourire), pourrais-je apporter chez vous de l'humeur?" On me persécute, je m'obstine à me taire, j'ai des distractions que le monde qui abonde pour le souper ne saurait détruire: on me propose une partie, je la refuse, et je sors à minuit en m'échappant.

Voilà qui est bien simple, direz-vous; qui n'en ferait autant? Je vous le donne en dix: écoutez seulement.

Est-ce que mon laquais, qui est un crispin des mieux dégourdis, n'a pas eu l'esprit de foutre la femme de chambre pour éviter l'ennui? Or, ce jour-là, il est presque aussi triste que moi; sa charmante le presse autant que la mienne, et comme il est d'un naturel confiant, il avoue que la nuit dernière j'ai soupé chez la duchesse une telle, que l'on m'a fait, malgré moi, tailler un pharaon; que le jeu était diabolique, que j'ai perdu énormément, et qu'étant peu riche, je suis étrangement incommodé; mais, ce qui me tourmente, c'est d'avoir été obligé de mettre en gage le diamant que m'a donné la présidente. Hélas! cette bague n'a pas même été suffisante avec tous mes bijoux pour dégager ma parole, et je suis sans un sou!

Il retombe ensuite sur lui-même, car le drôle est presque aussi coquin que moi: on l'a forcé aussi de jouer, et sa montre est avec mes effets chez Madame La Ressource. La pauvre Adélaïde, qui aime le pendard, tire de son armoire quarante écus, qui composent sa petite fortune et sont même le fruit de mes dons. Le scélérat les empoche; mais il y a bien un autre manège.

J'ai aperçu des chuchotages de la présidente à sa femme de chambre, des allées, des venues: c'est que l'on a conté tout cela à madame; que madame a fait répéter tout cela à mon bandit, et que sur-le-champ elle lui a remis cinq cents louis. Douze mille francs? En or, vous dis-je, pour aller tout dégager et fournir le supplément

Quand je sors, je retrouve mon fourbe dans mon carrosse, et nous portons le magot en triomphe chez moi. Comment! tout cela n'était pas vrai? Mais d'où diable viens-tu donc? C'est incroyable! tu ne te formes point; mais aiguise donc ton intelligence.

Le lendemain, à sept heures, en déshabillé leste, je cours chez la présidente; une joie douce brille dans ses yeux; j'ai son diamant au doigt Je veux la faire parler (car vous noterez que, sous peine de la vie, mon laquais ne doit m'avoir rien avoué), elle me fait un mensonge avec toute l'adresse, toute la noblesse de la générosité; mais elle voit bien, à la vivacité de mes caresses, que la reconnaissance les enflamme et que je ne suis pas sa dupe. Un peu remis de mes transports, je parle de bienfaits; on m'impose silence, en me disant que si l'on avait été assez heureuse pour me rendre un service, j'en ôterais tout l'agrément.

Dieu! comme ma voix est touchante!

Comment, monstre! tant d'amour et de générosité ne te touche pas? Si fait pardieu! et pour lui montrer ma gratitude (un peu aussi pour m'en débarrasser), je la marie avec un homme de ma connaissance qui la rend la femme la plus heureuse de Paris. D'amants que nous étions, nous devenons amis, et je vole, non pas à de nouveaux lauriers, mais à de nouvelles bourses.

Dégoûté de l'amour parfait, de la jouissance méthodique de la dévote et de la présidente, je languissais tristement, quand mon bon ange me conduisit chez Madame Saint-Just (fameuse maquerelle pour les parties fines, rue Tiquetonne); je lui annonce que je suis vacant et surtout que le diable est dans ma bourse; elle me présente sa liste; parcourons-la:

1 Mme La Baronne de Conbâille Foutre! voilà un beau nom. Qui est-ce que cette femme-là? C'est une petite provinciale qui est venue à Paris dépenser cinquante ou soixante mille francs qu'elle amassait depuis dix ans. En reste-t-il encore beaucoup? Non. Passons; pourquoi cette bougresse-là s'avise-t-elle de prendre un nom de cour?

2 Mme de Culsouple. Combien donne-t-elle? Vingt louis par séance. Paie-t-elle d'avance? Jamais, et puis ce n'est pas votre affaire: elle est trop large.

3 Mme de Fortendiable. Tenez, voilà ce qu'il vous faut. C'est une américaine, riche comme Crésus; et si vous la contentez, il n'y a rien qu'elle ne fasse pour vous. Eh bien! tu me présenteras. Demain, si vous voulez. Ici? Dans son hôtel même. Ce nom-là a quelque chose d'infernal qui me divertit. Je rends la liste, quand, d'un air de mystère, la bonne Saint-Just m'adresse cette exhortation: "Mon cher ami, vous avez beaucoup vu de jeunesses: qu'y avez-vous gagné? la vérole. Pourquoi ne pas écouter les conseils de la sagesse? J'ai dans ma maison une vraie fortune, une vieille. Le diable te foute! Eh! que votre souhait s'accomplisse! Encore mieux vaut lui que rien; mais il ne s'agit pas de cela, je vous parle d'un trésor: fiez-vous à moi, et nous la plumerons. Allons, je le veux bien: je m'en rapporte à ta prudence." En attendant, je me rends le lendemain, à sept heures du soir, chez mon américaine. Je trouve de la magnificence, un gros luxe, beaucoup d'or placé sans goût, des ballots de café, des essais de sucre, des factures, enfin un goût de mariné que je n'ai, sacredieu! que trop reconnu dans mainte occasion.

Ce qui me tourmentait était d'entendre, dans un cabinet voisin, une voix d'homme dont les gros éclats me mettaient en souci; enfin, la porte s'ouvre: qui serait-ce? ma déesse Mais, foutre! quelle femme!

Imaginez-vous un colosse de cinq pieds six pouces; des cheveux noirs et crépus ombragent un front court, deux larges sourcils donnent plus de dureté à des yeux ardents, sa bouche est vaste; une espèce de moustache s'élève contre un nez barbouillé de tabac d'Espagne; ses bras, ses pieds, tout cela est d'une forme hommasse, et c'est sa voix que je prenais pour celle du mari.

 Foutre! dit-elle à la Saint-Just, où as-tu pêché ce joli enfant? Il est tout jeune; mais qu'il est petit! N'importe, petit homme, belle queue Pour faire connaissance, elle m'embrasse à m'étouffer. Sacredieu! il est timide! Oh! c'est un garçon tout neuf. Nous le ferons Mais est-ce que tu es muet? Madame, lui dis-je, le respect (j'étais abasourdi.) Eh! tu te fous de moi avec ton respect Adieu, Saint-Just. Ca, ça, je garde mon fouteur: nous soupons et couchons ensemble.

Nous restons seuls, ma belle se plonge sur un sopha; sans m'amuser à la bagatelle, je saute dessus; dans un tour de main, la voilà au pillage. Je trouve une gorge d'un rouge-brun, mais dure comme marbre, un corps superbe, une motte en dôme, et la plus belle perruque Pendant la visite, ma belle soupirait comme un beugle; semblable à la cavale en furie, son cul battait l'appel et son con la chamade Sacredieu! une sainte fureur me transporte; je la saisis d'un bras vigoureux, je la fixe un moment, je me précipite O prodige! Ma bougresse est étroite En deux coups de reins, j'enfonce jusqu'aux couillons Je la mords Elle me déchire Le sang coule Tantôt dessus, tantôt dessous, le sopha crie, se brise, tombe La bête est à bas; mais je reste en selle; je la presse à coups redoublés Va, mon ami va foutre! ah! ah! va fort ah! bougre! ah! que tu fais bien ça! Ah! Ah! Ah! sacredieu! ne m'abandonne pas ho, ho, ho, encore encore! v'là que ça vient à moi, à moi enfonce enfonce!

Sacrée bougresse! son jeanfoutre de cul, qui va comme la grêle, m'a fait déconner Je cours après mon vit brûle Je la rattrape par le chignon (ce n'est pas celui du cou), je rentre en vainqueur. Ah! dit-elle, je me meurs. Foutue gueuse (je grince des dents!) si tu ne me laisses pas décharger, je t'étrangle Enfin, haletante, ses yeux s'amollissent; elle demande grâce. Non, foutre! point de quartier Je pique des deux ventre à terre Mes couilles en fureur font feu; elle se pâme Je m'en fous, et je ne la quitte que quand nous déchargeons tous deux le foutre et le sang ensemble

Il est temps, je crois, de remettre sa culotte.

Un peu rendus à nous-mêmes, ma housarde me félicite en se congratulant; elle va faire bidet, et moi je relève le sopha du mieux que je puis. Que fais-tu là? me dit-elle en rentrant. Mon ami, mes gens sont accoutumés à cela, et j'ai un valet de chambre tapissier qui fait la revue tous les matins. Vous pensez bien que nous ne parlons pas sentiment. Est-ce qu'elle s'embarrasse de ces foutaises-là! Nous voyons sa maison, son magasin, qui est de l'or en barre; les trésors des trois parties du monde s'y rassemblent Enfin, nous arrivons dans un cabinet; elle ouvre un coffre Tiens, me dit-elle, prends ce portefeuille (Je fais des façons) Allons, foutre! quand on bande comme toi, on a le moyen d'acquitter ces bagatelles Je le mets dans ma poche, non sans avoir remarqué qu'il contient pour cinq cents louis de bonnes lettres de change Voilà ce qui s'appelle des douceurs.

Nous soupons: ma foi, j'en avais besoin. C'est elle qui me sert des morilles, des truffes au coulis de jambon, des champignons à la marseillaise; au dessert, les pastilles les plus échauffantes, sans oublier les liqueurs de Mme Anfou De la table nous nous élançons au lit, et de la vie, je crois, on n'a vu pareille scène.

Rendez-vous pris au surlendemain, j'arrive Madame est malade. Hélas! Et c'est tout simple; elle avait excessivement chaud quelque chose que j'aie dit, elle a voulu que j'ouvrisse la fenêtre au mois de janvier. Une fluxion de poitrine l'enterre en trois jours O douleur! Je vais lui dire un de profundis chez la Saint-Just.

Après avoir essuyé ses larmes et ses doléances (car elle me proteste que ma princesse était une de ses meilleures pratiques), je l'assure que, très touché de cet accident funeste, j'ai fait des réflexions, et qu'ayant toujours honoré la vieillesse, je viens lui demander ses bons offices pour me consacrer au service de la douairière dont elle m'a parlé. Nous prenons jour, et j'obtiens sous huitaine l'avantage d'être introduit chez Mme In Aeternum. On m'avait prévenu qu'elle était fort riche, en sorte que la grandeur de l'hôtel, la beauté des livrées et des ameublements ne me firent pas d'effet; au contraire, j'en dévorais d'avance la substance Eh! sacredieu! la fée ne devait-elle pas s'alimenter de la mienne?

Le tête-à-tête était ménagé, l'on m'attendait, j'avais relevé mes appas: à force de vouloir réparer les siens, ma vieille était encore à sa toilette, asile impénétrable; je suis introduit, en attendant, dans un boudoir lilas et blanc; des panneaux placés avec art réfléchissaient en mille manières tous les objets, et des amours dont les torches étaient enflammées éclairaient ce lieu charmant. Un sopha large et bas exprimait l'espérance par les coussins vert anglais dont il était couvert; la vue se perdait dans les lointains formés par les glaces et n'était arrêtée que par des peintures lascives que mille attitudes variées rendaient plus intéressantes; des parfums doux faisaient respirer à longs traits la volupté; déjà mon imagination s'échauffe, mon coeur palpite, il désire; le feu qui coule dans mes veines rend mes sens plus actifs La porte s'ouvre, une jeune personne s'offre à mes yeux; un négligé modeste, une simplicité naïve, des charmes qui n'attendent pour éclore que les hommages de l'amour, des détails délicieux Telle se montre la jolie nièce de ma douairière, la belle Julie; elle m'offre les excuses de sa tante, qu'une affaire arrête, et me prie d'agréer qu'elle me tienne compagnie. Je réponds à ce compliment par les politesses d'usage, et nous nous asseyons sur des fauteuils dans un coin de la chambre; Julie s'éloignait du sopha (hélas! qu'il était bien plus à craindre pour moi! ), mes yeux erraient sur elle; je sentais toute la timidité d'un amour naissant, tous les combats de ma raison contre mon coeur; le feu de mes regards en imposait à Julie, notre conversation languissait en apparence, mais déjà nos âmes s'entendaient.

 Mademoiselle fait sûrement le bonheur de sa tante, puisqu'elle est sa compagne? Monsieur, ma tante a de l'amitié pour moi. La foule qui abonde chez elle a sans doute de quoi vous plaire, et vos plaisirs (Julie soupire) mille adorateurs (le feu me monte au visage). Ah! Monsieur! combien de ces adorateurs méritent d'être évalués ce qu'ils sont en effet! Quoi! vous n'en auriez pas trouvé dont l'hommage eût su vous intéresser? (elle se trouble) Pardon bon dieu! j'allais commettre une indiscrétion Mais, mademoiselle, me condamnerez-vous à le désirer?

Nous entendons du bruit; un regard assez expressif est toute la réponse de Julie.

La tante avait fini sa toilette; elle s'avance Peignez-vous, mon ami, un vilain enfant de soixante ans. Sa figure est un ovale renversé; une perruque artistement mêlée, avec un reste de cheveux, reteints en noir, en ombrage la pointe; des yeux rouges et qui louchent pour se donner un regard en coulisse; une bouche énorme, mais que Bourdet a fort bien meublée; du blanc, du rouge, du vermillon, du bleu, du noir, arrangés avec un art, une symétrie que des yeux connaisseurs et un odorat exercé peuvent seuls découvrir.

Une robe à l'anglaise puce et blanche se rattache par des noeuds de gaze, d'où s'échappent des coulants de perles, qui, retombant en ondes, se terminent par des glands d'un goût exquis; un coutil couvre la place où pouvait être une gorge il y a quarante ans; voilà ce que je démêlai au premier coup d'oeil Heureux si je n'en eusse vu ni senti davantage!

 Mon dieu, mon cher coeur, me dit-elle en minaudant et se laissant aller sur le sopha où elle m'entraîne, je suis désolée de vous avoir laissé ennuyer avec une petite fille (Julie s'est éclipsée); c'est ma nièce, et cela connaît si peu le monde! Comment, madame, votre nièce? Mais on ne le croirait pas à l'âge dont elle paraît. Cela est vrai; mais sa mère est infiniment mon aînée Puis saisissant une de mes mains La Saint-Just, mon cher, m'a parlé de vous, mais d'une manière extraordinaire, elle raconte des choses! Oh! pour cela, incroyables. Ces sortes de femmes nous vantent quelquefois; mais si je lui eus jamais une obligation, c'est de m'avoir mis à portée de vous offrir mes hommages. Tiens, mon coeur, bannissons la cérémonie; ton air me prévient; tu es joli, sois sage, et sûrement tu ne t'en repentiras pas. Il est temps de passer dans mon salon: j'ai du monde, tu souperas Une révérence est ma réponse; un baiser me ferme la bouche (Ah! sacredieu! c'est du vernis tout pur.) Ne joue pas, continua-t-elle; cause avec ma nièce, tu sembleras être son amant (ah! charmante vieille, l'aurore de l'amour vient me luire! que je t'embrasse de bon coeur! Mais, foutre! la peinture!) et nous nous rejoindrons quand ces importuns seront bannis.

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